mardi 7 février 2017

KONRAD LORENZ ( 1903-1989 ) - introduction


Pour quelqu'un comme moi, tomber sur un scientifique qui prétend démontrer - entre autres - que l'Amour et l'Amitié sont des dispositifs apparus pour tempérer les tendances naturelles à l'agression intra-espèce ( d'un Individu envers ses semblables ), c'est comme tomber par hasard sur une mine d'or...
Il a également "prophétisé" que l'Homme moderne, civilisé ( pour lui civilisé =domestiqué )  finirait, en s'éloignant toujours plus de son environnement et de ses comportements "naturels", par souffrir des maux dont souffrent les animaux en captivité:
- troubles alimentaires menant à l'obésité
- troubles sexuels menant à l'hyper-sexualisation
- régression dans l'infantilisme
Sans vouloir généraliser, on peut lui reconnaître une certaine clairvoyance...

Le gars a commencé "classiquement" en approfondissant les bases de l'éthologie ( étude du comportement, animal principalement  ) et notamment les grands classiques: inné contre acquis, mécanismes des comportements instinctifs et hiérarchie des impulsions fondamentales ( les "big four" ) : agression, fuite, accouplement et nutrition.
Comme tout biologiste un peu "ouvert d'esprit", il s'est essayé à la transposition aux comportements humains et c'est là que les choses se sont gâtées pour lui: on est dans les années trente et il est autrichien, bien à droite qui plus est, et il fini donc encarté au parti nazi, enrôlé dans la wehrmacht et prisonnier de guerre chez les russes... Il faut prendre la peine de lire ses livres les plus récents pour se rendre compte de combien il avait conscience de ses propres errements et combien sa pensée était plus profonde et subtile et surtout fondée scientifiquement que les délires national-socialistes...

Après guerre et par un mouvement de balancier bien compréhensible, l'ambiance intellectuelle penche à fond du côté opposé ( à gauche donc ), on entre dans l'ère du Behaviorisme qui affirme bien fort que chaque être humain ( et même les animaux ) est une page blanche façonnée par - et uniquement par - l'apprentissage et l'environnement. Personnellement, je vois dans cette pensée une réaction instinctive devant les horreurs de la guerre, une affirmation désespérée que "nous sommes meilleurs que ça" et que "ça n'arrivera plus jamais"... C'était tout bêtement un rejet des paradigmes de l'époque précédente ( fascisme intellectuel, fascination pour les justifications d'ordre naturel  des comportements humains, application sans nuance de concepts encore nouveaux...) et les scientifiques d'après-guerre ont commis exactement les mêmes excès dans la pensée opposée ( adoration immodérée de dogmes discutables ) tout en tombant dans une erreur grossière que Lorenz n'a jamais commise, lui: rejeter en bloc tout ce qui s'est fait avant eux.
Lorenz est un scientifique " à l'ancienne": respect des professeurs ( il les qualifie de "maîtres"...) et de la méthode scientifique pure ( observation, hypothèses et vérification expérimentale ) que les behavioristes ont allègrement foulé au pied ( genre, c'était "ringard"... ) et confiance dans le travail de ses prédécesseurs.
Les travaux des éthologistes font le lien entre la pensée darwiniste ( qui explique la Forme des corps des animaux et de l'Homme ) et la psychologie évolutionniste qui explique les comportements humains par les comportements animaux, une Ligne de Pensée qui me va comme un gant...
Par opposition, le behaviorisme et toutes les sciences humaines qui ont tenté depuis d'expliquer l'Homme sans recourir à ses Formes Parentes ( les - autres - animaux ) s'appuyaient sur des concepts totalement inventés et bricolés dans l'urgence ( c'est pas un jugement moral, comme dit plus haut ces gens baignaient dans le traumatisme de la deuxième guerre mondiale, par contre c'est un jugement de valeur... ) et qui ont depuis largement fait la preuve de leur inaptitude à décrire la réalité de la nature humaine ou - plus grave - a améliorer cette même nature...
Voir à ce sujet ses commentaires sur les enfants insupportables, "fruits" de l'éducation sans contraintes ni frustrations à la Dolto... ( RIP Carlos au paradis des chemises à fleurs, ça peut plus lui faire de peine... )

CECI DIT, il est vrai que si vous faites une recherche Google sur lui et que vous allez plus loin dans la liste que les pages Wiki, vous avez de fortes chances de tomber sur des sites très à droite, qui se réclament ouvertement du FN ou du fascisme ( je caricature pas, il suffit de surfer un peu...).
C'est que comme notre culture en général ( le retour du mouvement de balancier évoqué plus haut ), la pensée scientifique penche de nouveau à droite en réaction aux délires gauchistes des années soixante/soixante-dix... En France comme dans le reste de l'Europe latine on a mis du temps à rejoindre le mouvement ( encore une fois, c'est ni bien ni mal, c'est juste comme ça...) mais on y vient et on "découvre" ou plutôt redécouvre ces écoles de pensée, d'où un retour aux basiques et un retour en grâce du p'tit père Lorenz, ses poissons de récifs et ses oies cendrées...
Au chapitre "position sur le fascisme": " La vénération romantique des valeurs nationales [...] est visiblement un anachronisme qui ne peut être que nuisible de nos jours" ...
...ou encore une belle critique de la manipulation de la phase naturelle pendant laquelle les jeunes se cherchent leurs propres valeurs, n'importe lesquelles, un genre de "relativisme moral": à la fin de "l'agression", il exprime la crainte que si " un démagogue habile, expert dans l'art dangereux de provoquer des situations stimulantes dépassant la normale s'empare des jeunes de cet âge sensible; il n'aura pas de difficulté à guider le choix de leur objet de fixation dans une direction qui serve ses buts"... Si ça vise pas les jeunesses hitlériennes... ( Pensez à la stratégie "éducative" de Van...)

Son retour en grâce est mérité et pure justice mais n'importe quel lecteur actuel ne pourra ignorer l'aspect "daté" - on dira "vintage" - de formulations ou même d'idées non pas périmées mais énoncées avec une assurance qu'on considérerait aujourd'hui comme caricaturale. Deux perles, trouvées dans "L'agression, une histoire naturelle du mal" ( mauvais choix de titre à mon avis... c'était ironique dans son esprit mais tous ses critiques l'ont pris au premier degré ) :
p.141: " Ce que l'on exige de l'homme idéal, c'est qu'en dépit de sa supériorité énorme tant sur le plan physique que sur la plan intellectuel, il se soumette [...] au moindre caprice de sa petite femme", en plein milieu d'un passage sur les inhibitions empêchant les mâles d'agresser les femelles...
p.160: en parlant de l'indécision liée au nombre d'individus égaux dans un banc de poissons: "En observant ces mouvements désordonnés, on risque presque de perdre sa foi en la démocratie et de reconnaître les avantages indubitables d'une politique de droite"... Le bouquin date de 1966, chacun appréciera comme il veut.
CECI DIT, en deux livres bien entamés, c'est les deux seules phrases "douteuses" que j'ai relevé pour le moment ( je compléterais le cas échéant...) et donc vraiment pas de quoi crier au nazi...
Deux citations très relativistes moralement pour compenser:
p.94-95:
" Si  les normes sociales [...] n'étaient pas haussées à leur valeur de fins sacrées en soi, il n'y aurait pas de vie commune basée sur la confiance, pas de foi, pas de loi."
" Tout ce que l'homme vénère et révère par tradition ne présente pas une valeur éthique absolue, mais n'est sacrée que par rapport au cadre de référence de telle ou telle culture."

En ce qui me concerne, Lorenz défend surtout une approche basée sur l'observation et la transposition et j'ai trouvé dans son oeuvre une solide base théorique et d'excellents précédents pour "ma" T.F. ...


A suivre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire